Extrait de : Ces mots comme des blessures
1991 – EDR – ISBN 2-9505634-0-6 – Couverture Luc Brahy ©1991
De longues caresses, grasses d’écume, sur le sable mouillé
laissent des traces brunes de pétrole et de déchets.
Dans les flaques huileuses, où les algues s’empêtrent,
quelques dépouilles osseuses achèvent de disparaître.
La carcasse, habillée de sable, d’une voiture qui sommeille,
ressemble à un animal à la carapace brûlée par le soleil.
Quelques emballages vides font la course avec de vieux papiers,
que le vent pousse bien vite, comme s’il voulait tout nettoyer.
Les bouteilles de plastique, petites épaves dérisoires,
dressent, en un élan pathétique, leurs étiquettes étendards,
parmi l’exubérance folle des grandes herbes sèches,
en un capharnaüm de pneus, de cageots et de fil de pêche.
Un peu plus haut, dans les dunes que les embruns balaient,
indestructibles et brutaux survivent des blockhaus désarmés.
Des enfants insouciants ont couvert leurs murs blêmes et froids
de serments, de mots blessants, de dessins obscènes parfois.
Une barque sans âge, ensablée dans la mouvance de la plage,
a connu la violence des vagues et la force de l’orage.
Semblable à un patriarche philosophe et sage,
elle attend qu’un hiver lui offre son dernier voyage.
Au loin, sur la frontière immobile de l’horizon bleuté,
des pétroliers affichent leurs contours géométriques et glacés.
Leur lente procession, menace de verre et d’acier,
est une apologie à la destruction de la Méditerranée.
Derrière les grandes digues artificielles de pierres blanches
où les vagues ivres se suicident en avalanches,
les usines dressent, insolentes, leurs spectrales carcasses,
insensibles à la tourmente de la nature qu’elles menacent.
L’autoroute aujourd’hui ronge tout le littoral,
chemin d’asphalte et de cambouis qui nous avale.
Il ne reste que des photographies pour expliquer aux tout-petits
que la mer était belle à des années d’ici.
Jean-Claude Di Ruocco