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ETHNOLOGIC CIRCUS – Clothilde Grandguillot

  • par

SALTIMBANQUES ET GLANEURS D’ETOILES
TRANSBORDEURS – ARTICLE POUR LA MARSEILLAISE
15 Février 2006

C’est à un beau voyage intemporel, bien qu’empreint de nostalgiques réminiscences enfantines, auquel nous convie Clothilde Grandguillot, photographe diplômée en ethnologie.
Art et science, deux disciplines qui, de premier abord, semblent s’opposer tant l’une est dominée, le plus souvent, par l’émotion de l’instant, avec tout ce que cela sous-entend de subjectivité et de poésie, alors que l’autre impose ses conclusions par énumération de faits irréfutables et par la mise en équation de ce qui, en définitive, n’est rien d’autre que la vie… Poussière de rêves dont souvent nous n’avons pas sus nous enivrer lorsque nous en avions encore la possibilité. Mais, car il y a un mais, lorsque ces deux disciplines se complètent aussi bien que dans ce livre, tout devient alors facile et des portes s’ouvrent devant nos yeux émerveillés. Clothilde Grandguillot a choisi de pousser celle du cirque, celui des humbles, loin de la cacophonie virtuelle des marchands qui voudraient faire de nos enfants les pièces rajoutées de leurs consoles de jeux.
Le cirque comme champs d’études certes, mais avant tout comme lien entre les hommes éparpillés aux quatre vents de l’art millénaire des saltimbanques et des glaneurs d’étoiles, sentinelles attentives aux frontières du présent qui nous montre d’un rire, d’une arabesque gracieuse, d’une pirouette ironique, le chemin qui conduit à cet univers étrange où les paradoxes règnent en maîtres.
Les animaux s’ennuient derrière des barreaux, la liberté est un rêve qui affleure sur l’eau grise qui mouille leurs yeux vides, mais ils règnent le temps d’une représentation. Sous les lumières du spectacle, ils redeviennent mystérieux et agiles, dangereux parfois…
Les hommes, artisans de leurs propres rêves, triment la journée et tard dans la nuit, pour que les autochtones des lieux traversés découvrent, surpris, le chapiteau synonyme de joie sur le décor uniforme de leur quotidien, qu’ils pensaient jusque-là immuable. Et puis les bâtisseurs de châteaux éphémères endossent une nouvelle peau : celle d’un clown, d’un acrobate, d’un dresseur, d’un musicien. Ils réalisent le rêve, inaccessible pour la plupart d’entre nous, de devenir quelqu’un d’autre tout en gardant le ferment qui les a poussé à accomplir la métamorphose qui les extirpe de la glaise et faits d’eux des artistes.
Autre paradoxe, et non des moindres, le choix du noir et blanc pour ces clichés, comme pour mieux révéler l’évidence de destins monochromes qui oscillent entre sublime et pathétique. Ici les photos ne sont pas celles du spectacle mais de ses à-côtés : vie de famille, répétitions, travail de montage et démontage, vieux artistes aux regards lourds de solitude…
Non… Pas de couleur pour un sujet que l’on imagine pourtant chatoyant et festif… Uniformisation des décors, ici le terme n’est pas péjoratif, au contraire, car ces cirques mongol, vietnamien, indonésien, français ou espagnol, nous emmènent dans un périple majestueux au travers de la planète. Chacun d’eux est le reflet de sa propre société et comme le dit l’auteur : « On découvre des pays par la lucarne de leurs cirques. Universels et singuliers ». On peut rajouter qu’ils sont le lien entre les hommes que la même passion réunit au-delà les frontières en un cercle, celui de la piste de sable blanc, espace de liberté, où le temps d’un spectacle, les artistes entraînent les spectateurs réconciliés avec leurs rêves trahis.
Le dernier mot reviendra à Pascal Jacob qui nous dit dans la préface de ce beau livre :
« Des chapiteaux pour collines. Quelques poignées de sciure jetées sur la terre grise (…). Des mâts d’acier ou de bois pour suggérer arbres et forêts (…) et des remorques percées de jours, camions bâchés, tous disposés en rond autour d’improbables places de villages reconstituées. Du cirque comme vision du monde. »

Jean-Claude Di Ruocco

 

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