ART SUD – Numéro 58
3eme Trimestre 2007
Lieve Joris nous revient avec un livre bien dans la lignée de ses précédents ouvrages. Une fois de plus, c’est l’Afrique qui en est le personnage principal et c’est vraiment passionnant.
En 2003, le Congo semble pouvoir se réveiller du cauchemar de la guerre civile avec l’arrivée à la tête du pays de Joseph Kabila. Son gouvernement de transition partage le pouvoir avec les ex-rebelles. L’un d’eux, Assani, responsable du budget de la force terrestre, se retrouve à la tête d’hommes qui l’auraient lynchés, il y a peu encore. Avec lui nous pénétrons dans l’univers hallucinant, le mot n’est pas trop fort, d’une société en décomposition qui essaie de recoller les morceaux de son tissus social et culturel, alors qu’au sein de ses instances dirigeantes, jusqu’à la moindre officine administrative, règne l’incompétence, la corruption et l’avidité.
La structure du livre est vraiment efficace car l’auteur alterne les chapitre retraçant les étapes de la vie d’Assani, et la réalisation de sa mission, de sa prise de fonction jusqu’au dénouement final. Ce livre nous “ballade” du Congo au Zaïre en passant par le Rwanda, avec toujours l’évocation de ce conflit entre Hutu et Tutsie qui mènera à un génocide, car, comme l’écrit Lieve Joris : “Les vieilles haines n’ont que faire des frontières inventés par les colonisateurs”. Cependant comme elle le précise dans une interview récente : » Ceci n’est pas un livre sur les Tutsis C’est un livre sur les problèmes de nationalité, sur ce qui fait une nation ». Son héros, Assani, témoin et protagoniste de tous les bouleversements qui ont ensanglanté son pays ces dernières années, est un personnage réel. « Depuis 1998, de loin. J’ai connu sa famille. On se force à aller voir le passé des gens, pour comprendre de quoi ils sont faits. Cette amitié porte le livre », précise-t-elle toujours dans la même interview.
Joris Lieve nous livre ici un portrait de Assani dénué de toutes fioritures afin de nous dresser, au travers de son parcours, un bilan sans concession sur un pan de l’histoire du Congo. Cet ouvrage devient la voix de cet étudiant, grandi au milieu des cases et des vaches, entraîné malgré lui sur le chemin du pouvoir et de la violence. Au travers de son expérience c’est toute une génération sacrifiée, un peu partout en Afrique, qui témoigne de son désespoir et de sa solitude. Bien sûr le fait que Lieve Joris soit Belge l’implique un peu plus qu’une autre, pour, comme elle l’explique : “ voir ce qui est belge au Congo et ce qui est africain. Pour voir de quoi nous sommes responsables dans ce pays ». Cependant, si elle porte parfois un regard dur sur les Congolais et leurs luttes intestines, c’est qu’elle aime trop ce pays et ses habitants pour leur faire l’affront de manquer d’objectivité.
Jean-Claude Di Ruocco
Traduit du Néerlandais par Marie Hooghe
304 pages – Actes Sud – 21 euros