ART SUD – Numéro 58
3eme Trimestre 2007
Avec “La nuit Mozambique“, Laurent Gaudé nous offre un livre de grande volée. La maîtrise de la narration, qui touche ici à la perfection, transcende les quatre nouvelles qui composent cet ouvrage. Il émane de ces pages une beauté sombre. Chaque mot (maux) est imbibé d’une désespérance sauvage et salvatrice, véritable révélateur des désillusions qui façonnent la personnalité de ses personnages, venus d’époques et de lieux différents, qui mettent à nu le plus noir de leurs âmes, aiguillonnée par la proximité d’une mort en forme de délivrance. “Sang Négrier” ouvre le bal, et cet homme qui traque des noirs échappés d’un bateau durant une escale, n’est qu’un monstre gorgé de cruauté, mais ici la cruauté est une normalité qui vous flagelle bien plus efficacement que les pires descriptions.
“Gramercy Park” frôle habilement le pathos sans jamais y plonger, ce vieil écrivain qui a sacrifié son seul amour à force de lâcheté et d’égoïsme nous renvoie à nos propres démons dans un mea-culpa d’une lucidité implacable.
“Le colonel Barbaque” est un opéra sauvage, d’une violence rare par tout ce qu’il dégage de vérité. Un homme, qui a survécu à la grande guerre, choisit de vivre en Afrique, le continent des noirs qui sont mort à ses côtés sans reconnaissance de la France. S’engage alors une lutte désespérée, aux côtés des africains, contre les colonisateurs, en même temps qu’une vertigineuse autodestruction en forme de rédemption.
“La Nuit Mozambique” est l’histoire d’hommes qui se réunissent régulièrement pour se raconter leurs expériences. Bien que cette nouvelle nous laisse sur notre faim, elle ne saurait nous faire oublier les trois joyaux qui la précèdent.
Jean-Claude Di Ruocco
150 pages – Actes Sud – 16 euros