ART SUD – Numéro 60
1er Trimestre 2008
Auschwitz–Lutetia, c’est l’intitulé d’un voyage au bout de l’innommable, le raccourci paradoxal qui, des ténèbres hideuses à la lumière vacillante d’une vie qui renaît, porte en son sein le souffle ténu d’une mémoire toute dévolue aux générations à Venir. Si l’on connaît les conditions d’internement des déportés dans les camps de concentration, au travers des récits des survivants notamment, ce que l’on sait moins, c’est ce qu’il advint des soixante mille déportés évacués d’Auschwitz et des camps voisins par les Allemands, ce qui explique que les Russes n’en aient libéré que cinq mille.
Marcel Bercau était de ces hommes qui, dans le froid (-20°) et la neige, ont parcouru des kilomètres à pied, essaimant derrière leur colonne en souffrance, les corps sans vie de camarades exécutés froidement par les SS. Ils furent entassés à 160 par wagon à charbon découvert, où les faibles mourraient étouffés sous les corps des plus valides. Durant quatorze jours et quatorze nuits, ils ont dû survivre, jetant les corps des morts par-dessus bord et se battant pour un bout de pain rassi. À l’arrivée de ce macabre voyage, ils n’étaient plus que vingt par wagon… puis ce fut la succession de camps, d’horreurs… Orianenburg, Flossenburg, Léomberg, Muldorf… Autant d’étapes… Autant de gifles à la face d’une humanité qui mettra des années à découvrir l’insoutenable cruauté des nazies.
L’auteur fut arrêté à Paris puis incarcéré à Drancy (3 de ses lettres à sa famille sont reproduites à la fin de l’ouvrage) puis fut aspiré par la déferlante de haine que les Allemands lâchèrent sur l’Europe. Il survécut au jour le jour, chaque heure de gagnée était une victoire, chaque souffle de vie, un souffle d’espoir… Ce livre est un chant, parfois un requiem, il porte en lui la force indomptable de la vie et témoigne à jamais de sa toute puissance.
À l’heure où certains distillent insidieusement la colère dans les esprits les plus influençables, où il est devenu politiquement correct de ressusciter de vieilles recettes nauséabondes au nom de la justice sociale, ce livre doit servir, comme tous ceux qui l’ont précédé, à renforcer la digue si fragile qui nous protège de la barbarie.
Jean-Claude Di Ruocco
160 pages – Pygmalion – 13 euros