RENCONTRE AVEC UN MONSTRE SACRÉ
ART SUD N° 54 – 3ème Trimestre 2006
Rencontrer Pierre Magnan c’est se confronter à un homme de la terre, viscéralement attaché à ses Basses-Alpes, qui aujourd’hui, nous parle de ces voix qui se sont tues, celle de Jean Giono bien sûr ou d’André Gide, mais aussi de ce peuple humble, ses frères de labeur qui lui ont appris les secrets et les beautés de ce pays où son œuvre est à jamais enracinée.
Né à Manosque en 1922, il quitte l’école à douze ans et devient typographe. A vingt ans, réfractaire au travail obligatoire, il se réfugie dans un maquis de l’Isère. Bien que très jeune il était très proche de Jean Giono. En 1946, il publie L’aube insolite et obtient un succès d’estime. Jusqu’à l’âge de cinquante-quatre ans il travaille dans une société frigorifique pour vivre. Licencié, il se met à écrire des livres plus formidables les uns que les autres dont certains seront adaptés au cinéma et à la télévision.
– On a toujours dit que vous avez une mémoire phénoménale, mais faites-vous un véritable travail de documentation ?
– Jamais ! Parce que je me garde soigneusement d’écrire sur les choses que je ne connais pas. Je ne parle que de ce que je connais bien, les Basses-Alpes.
– Comment s’organise une journée de l’écrivain Pierre Magnan ?
– Cela ne s’organise pas du tout, je suis la désorganisation personnifié.
– Donc pas de moment de prédilection pour l’écriture ?
– Je suis un instinctif, j’écris quand j’en ai envie et surtout je prends mon temps.
– Dans quinze jours paraît votre nouveau livre “Laure du bout du monde“, pouvez-vous nous en dire plus ?
– Alors là, quand même je me suis astreint, ça contredit ma réponse précédente, car ce bouquin je l’ai écrit en deux mois. C’est un exercice de style, en ce sens que c’est une histoire vraie et je n’ai jamais de ma vie, sauf mes biographies bien sûr, écris d’histoires vraies, parce qu’on ne peut pas donner libre cours à son imagination (il rit) notez bien, j’en ai inventé la moitié !
– Une histoire vraie à moitié inventée ?
– Ben oui… une histoire vrai à moitié inventée, parce qu’avec le vrai je ne me sens pas bien.
– Dans tous vos livres, même ceux qui sont qualifiés de polars, la part autobiographique est vraiment importante.
– En grande partie oui.
– Vous avez éparpillez tout au long de vos romans des éléments de votre propre histoire. Peut-on dire que chaque livre est une des pièces d’un immense puzzle dont l’image finale se trouve dans votre biographie ?
– Même ma biographie, c’est la quintessence du pays. Je suis né à Manosque, à l’intérieur de la Provence c’est pour cela que je n’écrirai jamais sur autre chose, parce qu’un autre endroit, même si je le visite pendant six mois je ne le connaîtrais pas. Lorsqu’on me demande si je vais dans les lieux que je décris dans mes livres, je réponds que non. Les Clues de Barle par exemple, je m’y suis rendu enfant au moins 150 fois, pas besoin de prendre des notes, j’entends les bruits, les oiseaux, les arbres, le vent, j’entends tout ! Le vent n’est pas le même si c’est à Sainte Tulle où à Barcelonnette. Tout ce que je fais c’est inné. Le pays et moi on est en osmose totale.
– Lorsque vous racontez votre parcours, semé d’embûches mais aussi de livres exceptionnels, vous dite “l’édition est un jeu de hasard et quand on gagne il n’y a jamais de quoi pavoiser”…
– Jamais !
– On a l’impression que votre modestie prend toujours le pas sur l’évidence de votre talent ?
– Je ne suis pas du tout modeste! C’est le besoin de dire très exactement la vérité sur ce que je pense. Je vois bien, certains auteurs qui sont interviewés à la télé, ils me font doucement marrer, (ironique) ils savent dès le départ comment ils vont faire et comment tout va s’agencer, etc… moi j’en sais rien du tout !
– Vraiment ?
– Mes livres naissent souvent d’une phrase. Par exemple pour la “Maison Assassinée”, la première phrase qui m’est venue à l’esprit c’est : “Monge était sur le qui-vive”. Je ne dirais pas que tout est parti de là, mais la tonalité était donnée. C’est la tonalité qui compte. C’est pour cela que j’ai tant de mal avec le livre que je suis en train d’écrire, “Chroniques d’un château Hanté”, il me manque la tonalité.
– Je ne remets pas en question la spontanéité de votre écriture, ce que je voulais dire c’est que même lorsque l’on ouvre devant vous, toutes grandes, les portes de la reconnaissance, vous choisissez toujours la porte étroite.
– (Rire) Vous lisez André Gide ?
– C’est un auteur que j’aime lire.
– Moi aussi (rire) on est plus beaucoup !
– Pour appuyer mon affirmation je vais vous citer la fameuse phrase que vous avez dite sur le plateau d’une émission littéraire : “Je suis de moyenne intelligence et j’écris pour des lecteurs d’intelligence moyenne”.
– Ha ! Ça c’est absolument évident !
– On ne peut pas vous suivre sur ce terrain car cela voudrait dire que vous occultez tout le côté Littéraire de votre œuvre, vous n’êtes pas seulement l’écrivain de la montagne de Lure tout de même ?
– J’ai effectivement une intelligence qui n’est pas universelle…
– Votre affirmation n’est-elle pas un moyen de ne pas rompre le fil qui vous lie à vos origines et par la même aux gens de la terre et du labeur. Vous semblez avoir peur que l’on vous considère comme un intellectuel ?
– Ah ! Non ! Je n’ai rien d’un intellectuel ! J’écris pour l’honnête homme, tel qu’il était au VXIII° siècle, c’est à dire qui n’a pas d’idées préconçues et qui aime lire parce qu’on lui raconte une histoire. Même lorsque j’écris ma biographie, j’ai parfaitement conscience d’écrire une histoire. Ce que l’on écrit sur soi-même ce n’est jamais totalement vrai.
– Justement où réside la difficulté lorsque l’on écrit des histoires où réalité et fiction se mêlent aussi étroitement ?
– Si l’on a du sens critique, et je n’en suis pas dépourvu, chaque fois que l’on écrit une ligne les objections viennent en foule. Lorsque j’écris un livre de trois cent cinquante pages, en réalité je pense trois mille cinq cent pages ! En littérature, la difficulté, le travail vrai, c’est le travail de retranchement. Il faut être lisible ! Le talent c’est de ne pas être obligé d’exprimer en quarante pages ce que l’on peut dire en deux.
– A l’image d’un Maxence Van Der Meersch pour le Nord, vous faites partie de ces écrivains qui témoignent d’un univers, d’un peuple. Je pense que sans vous, Giono ou Thyde Monnier entre autres, on aurait perdu la trace de ce monde riche d’histoires secrètes qui tend à s’effacer, pourtant on vous considère comme un auteur de polar. Alors êtes-vous oui ou non un auteur de polar ?
– C’est là où ma sincérité est absolue. Mon premier livre, “L’aube Insolite” est paru, j’avais 23 ans. Ensuite, pendant des années et des années, j’ai écrit des bouquins que les éditeurs ne voulaient pas, de sorte que j’ai dû prendre un travail pour gagner ma vie tout en continuant à écrire. Les éditeurs étaient très clairs : “Vos histoires n’intéressent personne, aujourd’hui la seule chose qui compte c’est le nouveau roman. On écrit plus d’histoires”. Voilà ce que me répondaient les éditeurs, j’ai encore les lettres ! Le nouveau roman avait totalement occulté l’idée d’imagination ! L’histoire n’avait que peu d’importance, ce qui comptait c’est ce qui se passait à l’intérieur de l’être, ses pensées, ses motivations avec évidemment une connotation psychanalytique. Après mon licenciement, je devais avoir 54 ans, je me suis dit, il reste une partie de la littérature qui est condamnée à raconter une histoire, c’est le roman policier. Voilà pourquoi j’ai commencé à écrire des romans policiers. Le roman policier est le support qui m’a permis de sortir du ghetto.
Dans les enquête de l’inspecteur Laviolette, les motivations des personnages n’ont rien d’extraordinaire ni de machiavéliques. C’est pour cela que je suis surpris que votre éditeur parle de vous en disant que vous êtes le maître du roman noir.
Je ne suis pas un maître du roman noir, pour la bonne raison qu’aucun de mes crimes ne peut servir de modèle. L’assassin qui utiliserait ma manière de tuer se ferait prendre dans les cinq minutes qui suivent.
– Je vais enfoncer quelques portes ouvertes, mais votre Provence c’est celle du Grand Troupeau, de Colline, du Moulin de Pologne… c’est plus ça votre univers non ?
– (Enthousiaste) Mais voyons ! Giono ne connaissait qu’un pays et je ne connais que le pays de Giono. J’ai mis mes pieds partout où Giono avait mis les siens. Je n’ai pas plagié Giono, je n’avais à ma disposition que les matériaux qu’il avait lui-même.
– On pourrait presque dire que vous vous êtes appliqué à ne pas le plagier. Il y dans l’écriture de Giono beaucoup de choses qui sont non dites mais qui vous frappent encore plus que tout ce que l’on peut lire. Alors que vous êtes vraiment là en témoignage…
– J’ai un seul avantage sur Giono, j’en ai un quand même. C’est que le peuple des Basses Alpes, je le connais beaucoup mieux qu’il ne l’a connu. C’est ma seule sauvegarde.
– Parce que lui justement était un intellectuel et qu’il avait une vision plus globale ?
– Ecoutez, Giono a lu “Ulysse” de Joyce, moi quand il me l’a prêté j’en ai lu trois pages et puis terminé ! J’y comprenais que dalle ! C’est pour cela que tout à l’heure je parlais d’intelligence moyenne et que je vous disais que je n’avais pas une intelligence universelle. Les quatre cinquième de l’univers d’aujourd’hui m’échappent complètement. Je suis obligé de me confiner à ce que je sais, que j’entends et que je vois. Pour ce qui est de la spéculation philosophique zéro ! J’en suis resté à Montaigne vous comprenez : “serions-nous assis sur le plus haut trône du monde, encore ne serait-ce que sur notre cul! ”. A partir de là vous pouvez spéculer tant que vous voulez ! J’en reste là. Et puis il y a Pascal… Giono était un grand amateur, il connaissait par cœur les “Pensées” de Pascal. Tenez, par exemple en poésie, et bien je me suis arrêté à Valery et Mallarmé. René Char je ne le suis pas, il est trop intelligent pour moi ! Saint-Jones Perse c’est pareil ! Tandis que Prévert et Valery eux sont fait pour les vraies intelligences moyennes ! Le Cimetière Marin, quelle merveille !
– Sur votre site internet j’ai lu vos billets d’humeur qui traitent de politique où de tout autre sujet qui vous tient à cœur. Pourtant il y a une constante dans vos livres, c’est que vous ne leur donnez jamais un axe engagé ni politique justement…
– Jamais ! Et ça c’est Giono qui me l’a appris. C’est curieux parce que lui il a fait le contraire ! (rire). Il s’en est retiré dans ses dernières œuvres.
– Il savait ce que son pacifisme lui avait coûté ?
– Non c’est qu’il y comprenait que dalle ! (rire). Il n’avait aucune idée de politique générale. C’était un poète, même en politique.
– Donc en littérature il faut éliminez tout ce qui ne sert pas l’histoire ?
– Giono m’a toujours dit : “il faut être intemporel”. Lorsque je lui ai demandé si c’était difficile d’écrire, il m’a répondu : “c’est incommensurablement plus difficile que tu ne crois”. C’est ce qui a décidé de ma vocation littéraire.
– Je vous cite : “Un écrivain est fait pour créer et pas pour polémiquer”. C’est votre credo ?
– Absolument, mais je ne l’ai découvert qu’en vivant. Au début de ma vie j’étais pacifiste comme Giono. J’étais prêt à me faire tuer pour le pacifisme, ce qui est paradoxal je vous l’accorde. J’avais une peur terrible que Giono se fasse tuer. A cette époque l’antimilitarisme était honni par 90% des français. La moitié d’entre eux s’étaient fait casser la gueule à la guerre 14/18, ils espéraient qu’ils avaient servi à quelque chose en faisant la guerre… Quand je vois des réunions entre français et allemands j’ai les larmes aux yeux. Nous sommes les seuls qui aient réussis à se réconcilier après tant de guerres abominables. C’est un exemple ! (très ému)… Bon, on continu…
– Vous avez traversé l’âge d’or de la littérature, mais vous étiez plus un spectateur attentif qu’un acteur malgré ‘L’Aube insolite”…
– Vous savez, ”L’aube Insolite”…
– C’est pourtant un livre merveilleux. Lors de sa sortie Robert Kemp le critique le plus côté de l’époque a écrit : “Je ne commenterais pas longuement le livre de Pierre Magnan, l’Aube Insolite, qui me paraît dans le domaine du récit poétique une manière de chef d’œuvre“. Je l’ai lu dans votre biographie.
– La première chose qui m’est venu à l’esprit en lisant ça c’est : “Merde, Giono va le lire ”.
– La peur de surpasser le maître ?
– Non ! C’est qu’à cette époque Giono était à l’écart. C’est une affaire d’homme. C’est Aragon qui a voulu l’enfoncer. Aragon a joué auprès de Giono le rôle, mais en méchant, que Gide à jouer auprès de Proust. Gide n’a jamais souffert que Proust lui soit supérieur. Pour ce qui est d’Aragon, il ne faut pas oublier qu’il est d’essence bas alpine. Il était le fils du sénateur des Basses-Alpes, Andrieux qui, je ne déflore pas un secret, a engrossé la fille du sous-préfet d’alors et ça a donné Louis Aragon.
– Ça a donné Louis Aragon ! (rire) on dirait une recette de cuisine !
– Aragon pouvait donc se réclamer génétiquement des Basses Alpes alors que Giono était d’origine italienne.
– Il avait l’impression que Giono lui avait pris la place qui lui était réservé ?
– Exactement !
– Pour conclure, votre sentiment sur la littérature, sur ces livres éphémères, ces coups médiatiques qui finissent pour la plupart au pilon ?
– Nous finissons tous au pilon hélas ! De toute façon les générations qui ont connu Gide, Mauriac, Bernanos ne reviendront pas… Tenez l’autre jour j’étais dans un lycée et en répondant aux questions des élèves, je leur ai parlé de Stendhal. Ça a été le silence de mort.
Ils ne l’avaient jamais lu ?
– Non seulement il ne l’avaient jamais lu, mais ils n’en avaient jamais entendu parler. Et attention, ce n’était pas des sixièmes mais des élèves de première ! Donc partant de là, vous comprenez… La route de la littérature est devenu très étroite, la littérature avance sur des détritus et sur des ruines, vers on ne sait quoi, vers on ne sait où. Va-t-elle de l’avant, recule-t-elle ? On n’en sait rien. L’important c’est que les gens s’expriment, lisent, écrivent, mais pour cela il faut un courage du diable. Pour accoucher 300 pages d’un bouquin il faut le faire ! Que ce soit un mauvais livre où un bon, le travail est le même !
– Le bonheur par la culture ?
– Oui. Pour beaucoup, entre le travail et la télévision, il y a la culture. Car ce sont trois choses différentes, le travail, la télévision et la culture.
– Votre définition du bonheur ?
– Etre en accord avec soit même… C’est fini ?
– Oui.
– Et bien tant mieux ! (rire général).
Jean-Claude Di Ruocco
Bonjour, Comment se fait-il que la retranscription de cette entrevue soit bourrée de fautes ?! Ce n'est pas faire honneur à un site qui traite de littérature et d'écrivains… Pas très sérieux. Cordialement.
Bonjour Tiphaine, Le texte à été corrigé, merci de votre retour. Je ne penses pas qu'il soit bon de juger un site sur un seul article. Pour toutes remarques ou suggestions je vous invite à utiliser la partie contact du site. Bonne journée à vous.