BLIZKRIEG – RUDDY RICCIOTTI – SALVATORE LOMBARDO
TRANSBORDEURS – ARTICLE POUR LA MARSEILLAISE
25 Octobre 2005
Véritable rouleau compresseur qui lamine d’un bout à l’autre de la planète, la formidable diversité culturelle qui fait la richesse des hommes qui la peuple, la pensée unique du profit a accaparé tous les supports médiatiques afin de nous asservir toujours plus à son théorème sanglant. On avait fini, occupé que nous étions à regarder notre nombril, par ne plus nous en inquiéter, où si peu et puis “Blitzkrieg” est venu, disons-le, pour foudre le “bordel” plus qu’autre chose, mais c’est jubilatoire. Ce livre est un bras d’honneur aux ouvrages complaisants qui éclosent par dizaine au moindre hoquet de l’actualité, où ceux plus honorables, mais souvent hermétiques pour les non-initiés, que nous délivrent de grands politologues qui ne savent même pas ce que peut-être le quotidien d’un ouvrier ou d’un enfant Afghan dans les camps de toile de Kaboul.
Cette volée de bois vert est assénée par deux marseillais qui n’hésitent pas à donner un grand coup de pied dans la fourmilière (j’aurais pu dire un coup de pied au cul) des pseudos “sauveurs” de notre société, tenant d’un pouvoir qu’il soit politique, artistique où que sais-je encore, que les marchands du temple des marchés internationaux tiennent fermement en laisse.
Comme souvent, la révolte vient du sud, de tous les suds. Par leurs parcours atypiques, toujours dédiés aux combats les plus désespérés (qui comme chacun le sait sont les seuls qui valent le coup), Salvatore Lombardo et Rudy Ricciotti, enfant de la citée phocéenne, portent en eux l’amour fou de la liberté. Une liberté devenue, au travers de leurs engagements, l’ultime métaphore d’un combat social, éthique et esthétique, dont ils nous exposent la vision à la fois violente et romantique au travers de pages empreintes d’un enthousiasme frisant souvent le chant guerrier.
Parler de ce livre c’est d’abord évoquer la polémique qu’il fait naître par son ton volontiers carnassier, loin des compromissions auxquelles nous ont habitué les très officiels “rebelles” accrédité par les médias. Dire que le politiquement correct n’a pas sa place ici, est un doux euphémisme.
Les deux amis se sont retrouvés au cœur d’un huis-clos, comme des combattants qui attendent la multitude adverse et qui, sachant leur cause presque perdue d’avance, préfèrent mourir les armes à la main. Car c’est bien là tout l’intérêt de ce livre, une véritable attaque en règle non seulement contre la cynique idéologie Anglo-saxonne, mais aussi une virulente critique à l’encontre de la soumission des Européens face au diktat des locataires de la Maison-Blanche. Salvatore Lombardo et Rudy Ricciotti poussent à l’extrême les moyens qu’il faudrait utiliser contre ces pitoyables cerbères, qu’ils soient de France où d’ailleurs, gardiens d’une démocratie à sens unique, qui préparent en catimini un avenir aux relents nauséabonds.
Les auteurs nous proposent une arme “d’éducation massive” : la culture ! Seul moyen pour lutter contre tous les extrémismes. La culture, celle que les gouvernements successifs se sont employés à dénaturer, sacrifiant volontairement l’éducation de nos enfants en transformant l’école en une machine à uniformiser les esprits, afin de les faire rentrer dans le moule du matérialisme et de la soumission. La culture trahie par quelques uns de ses acteurs, artistes adoubés par “l’establishment”, poseurs bobos où rebelles apprivoisés qui ramassent les miettes du festin électoral et se vautrent dans leur suffisance.
L’architecte Sudiste Rudy Ricciotti et le journaliste et écrivain Salvatore Lombardo nous parlent d’un monde où la Méditerranée, berceau naturel d‘une fraternité en devenir, doit être le fer de lance d’une résistance face à l’empire, celui des pseudo-arbitres du bon goût démocratique de Paris-sur-Seine ou des fauteurs de guerre de Londres et de Washington.
Il traîne sur ce livre des relents de désespérance, un je-ne-sais-quoi de désenchanté. Les auteurs sont issus d’une génération à laquelle l’histoire avait donné les clefs pour bâtir un monde en paix. Leurs jeunesses ont été rythmées par le chant lancinant des luttes, que ce soit celle de Martin Luther King, de Nelson Mandela, d’Angela Davis, égérie sublime d’une cause plus sublime encore, du Che, héros romantique d’une révolution éternelle… Sans parler de ce beau mois de Mai 68, dont les intellos cathodiques voudraient nous faire croire qu’il fut salvateur, alors que bien des artisans de ce mouvement, aujourd’hui font du gras, gorgés de privilèges, ceux-là même qu’ils dénonçaient aux heures brûlantes des pavés.
Même s’ils ne le disent pas, Salvatore Lombardo et Rudy Ricciotti, savent que c’était sans doute en ces années-là que l’on pouvait encore modifier le destin sans verser de sang, en mettant en avant l’art, l’amour et la fraternité dans un improbable “Woodstock” social… Alors, ils essaient de changer le cour d’une histoire que beaucoup disent inéluctable… ils rêvent… ils pleurent leurs rêves ? Eux seuls pourraient nous le dire. Ils affirment leurs certitudes, se placent aux côtés du Général Aoun, pleurent leurs amis Ahmed Shah Massoud, citent d’Annunzio, Borges et tant d’autres, comme autant de jalons magnifiques sur le chemin qu’ils voudraient nous voir suivre, sans doute pour oublier que le songe d’hier s’est métamorphosé en cauchemar. Rien n’est perdu cependant, mais pour changer le monde, des chansons ne seront pas suffisantes, pas même des fleurs comme en 74 au Portugal. Il faudra prendre les armes, que ce soit la Kalachnikov ou le poignard Afghan, que ce soit dans des livres comme celui-ci ou sur les champs de bataille que nous réservent les tenants de l’enfer du profit maximum. Ce livre est un peu “dingue” certes, mais pas plus dingue que les schémas absurdes et destructeurs sur lesquels nous bâtissons ce monde, que les générations se repassent depuis des lustres, chacune y rajoutant une couche un peu plus épaisse d’obscurantisme.
Le Corbusier, à New York, devant des journalistes qui lui demandaient son avis sur l’immensité de leurs buildings, leur répondit à la stupéfaction générale : “Vos gratte-ciel ? Ils sont bien petits !”. Le maître savait bien que lorsque l’on oublie d’inclure la dimension humaine dans une œuvre, quel que soit son gigantisme, on ne bâti rien d’autre qu’un leurre. Salvatore Lombardo et Rudy Ricciotti sont comme lui, ils préfèrent la réalité d’un art au service d’une humanité en quête de liberté et d’esthétisme à tout le clinquant d’une culture de Prisunic qui ne sert qu’à masquer les armes destructrices que des petits Rommel en costume trois pièces rêvent de nous “foutre” sur la gueule.
Jean-Claude Di Ruocco
145 pages – Transbordeurs – 15 euros