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AU GRAND KALEIDOSCOPE DES SOUVENIRS

  • par

LES GUÊPES DU MIDI – Marie-Josephe Poncet de Cessy
TRANSBORDEURS – ARTICLE POUR LA MARSEILLAISE
14 Décembre 2005

Nos existences s’étirent à diverses vitesses, sur les autoroutes où les départementales qui sillonnent nos destins respectifs et qui, bien que nous étant personnelles, nous conduisent irrémédiablement à la même destination : le grand précipice. Tous nos chemins mènent à lui, c’est inéluctable. Nous semons sous nos pas les copeaux, plus ou moins importants, de notre vécu, dont le bois (surtout lorsqu’il a eu le temps de se durcir au souffle de sentiments violents et profonds) peu à peu se patine avant de ne laisser derrière lui que des petits tas de sciures. Minuscules témoignages d’instants fugaces par l’entremise desquels on rattrape parfois le fils du souvenir. Ainsi, on peut ensuite le tirer à nous avec précaution afin de récupérer la plus grande partie d’événements que l’on croyait à jamais enfouis au grand cimetière de nos rêves trahis. Bien-sur, parfois on rouvre une blessure mal cicatrisée et il ne nous reste que le voile effrangé d’anciennes fêtes pour éponger les sanies malsaines de nos actions les plus viles. Heureusement, il y a toujours bien plus d’images de joie qui affleurent sur l’onde mouvante de notre passé car, pour beaucoup, elles sont les plus faciles à attraper.
Oui, qu’on le veuille ou non, nous sommes tributaires de ce grand Kaléïdoscope qui emprisonne à jamais nos actes présents entre les non-dits et les grandes actions qui ponctuent notre parcours d’être humain (même si, pour certains, cette appellation peu paraître inadéquate). Ces échardes d’autrefois qui nous poussent au mensonge ou au sublime, nous piquent aussi sans prévenir, comme de vilaines guêpes, vous savez celles dont on dit qu’elle n’attaquent que si l’on bouge… Mais que faire d’autre, lorsque ressurgit une souffrance ancienne, que de se lancer à corps perdu dans le combat quotidien pour lui échapper ?
Il y a des personnes, et des auteurs donc, qui ne peuvent s’affranchir de leur passé et de leur enfance en particulier, surtout lorsqu’ils laissent couler sur la page blanche le sang épais de leur nostalgie qui, excusez-moi Madame Signoret, et bien toujours la même quelle que soit l’époque. Certains, sans l’occulter, en extraient juste un peu de poésie pour nous parler des autres et, sans avoir l’air d’y toucher, refilent leurs souffrances à de pauvres personnages issues de leur imagination qui se “coltinent” les pires contradictions à longueur de chapitre. Il y a ceux qui s’en “balancent” et s’assoient sur leur passé et, par la même occasion, leur conscience, du moment que leurs intérêts sont préservés. Mais ce serait faire du “hors sujet” dans le cas qui nous intéresse, car si Marie-Josèphe Poncet de Cessy avec son livre “Les Guêpes du Midi” est une adepte de la nostalgie à tous les étages, c’est avec un talent certain qu’elle mène à bien son entreprise. Née en 1921, du côté de Lyon, elle fut, entre autre, infirmière durant la seconde guerre mondiale et, à la fin de celle-ci, a participé au côté d’Henri Troyat, au lancement d’un magazine littéraire, sans parler des vicissitudes que la vie lui a réservées comme tout un chacun, autant dire qu’elle est riche d’une expérience précieuse pour les autres. Son livre est composé d’une multitude de petits textes, pour la plupart acides et cruels, affleurant à la surface rugueuse de souvenirs tragiques ou amusants, voir comiques. Ces brûlots incisifs qui savent aussi s’habiller de tendresse et de poésie, se succèdent en une sarabande anachronique. En effet, bien que datés, les textes ne respectent aucune chronologie à l’image des évocations qui se bousculent dans l’esprit d’Anne, la narratrice, dont Paule Constant nous dit dans la préface de l’ouvrage, qu’elle est “paisiblement installée dans sa maturité comme dans un déjeuner au soleil”.
L’auteur tout au long de sa vie a accumulé ces minuscules histoires jusqu’à en former un essaim d’émotions qu’elle livre aujourd’hui au grand vent de la liberté littéraire. Ces petites guêpes (vous savez, celles dont il était question un peu plus haut) hier enfermées sur des bouts de papier, s’en donnent à cœur joie, virevoltantes et sifflantes, en une sarabande effrénée entre douceur (douleur ?) romantique d’une époque révolue et modernité. Elles piquent toujours avec justesse la curiosité du lecteur qui tourne les pages inlassablement, avide de nouvelles couleurs. La mort rôde souvent entre les pages de ce livre, mais cela ne saurait faire oublier qu’il est avant tout, comme nous le confie l’auteur : “une voie qui passe, une minute de tendresse, un pleur qui donne envie de pleurer, une vie, cette chose atroce et merveilleuse“.
Une existence riche en émotions, dont Marie-Josèphe Poncet de Cessy nous livre la substance avec ce témoignage en forme de jeu de piste où hier, aujourd’hui et demain mêlent leurs chants afin de nous restituer toute la sensibilité d’un auteur à découvrir absolument.

Jean-Claude Di Ruocco

195 pages – Transbordeurs – 16  euros

 

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